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« La communication cabinet / laboratoire : la clé du succès prothétique »

P. Margossian , S. Koubi , G. Maille, E. Loyer, G. Laborde, M. Laurent
Information dentaire septembre 2012

Patrice Margossian
MCU, Département
de Prothèse (Faculté d’Odonto- logie de Marseille)

Stefen Koubi
MCU, Département d’Odontologie conservatrice (Faculté d’Odontologie
de Marseille)

Gerald Maille
Ancien Assistant, Département de Prothèse (Faculté d’Odontologie
de Marseille)

Eric Loyer
Assistant, Département de Prothèse (Faculté d’Odontologie
de Marseille)

Gilles Laborde
MCU, Département de Prothèse (Faculté d’Odontologie de Marseille)

Michel Laurent
MCU, Département de Prothèse (Faculté d’Odontologie de Marseille)

Abstract
Les objectifs de la dentisterie esthétique sont de créer des dents aux proportions agréables et un agencement dentaire en harmonie avec la gencive, les lèvres et le visage du patient [1]. Ce cahier des charges s’applique bien entendu aussi bien aux restaurations prothétiques sur dents naturelles qu’à celles sur implants. L’obtention d’un résultat d’apparence naturelle, sur le plan esthétique comme fonctionnel, ne peut donc se concevoir sans une intégration dento-gingivale parfaite de nos prothèses. La communication entre le cabinet et le laboratoire est à la base de cette réussite. En effet, l’empreinte, l’enregistrement de la relation inter-arcade, le transfert des données esthétiques et fonctionnelles sont autant d’éléments qui peuvent faire basculer un traitement simple vers le chaos.

Empreinte implantaire dans secteur antérieur
Les réhabilitations antérieures représentent, par leur situation, un dé esthétique majeur. Chez environ 80 % de nos patients, le rire et le sourire laissent apparaître la zone gingivale de manière signi cative [2]. Il est donc essentiel, dans les situa- tions d’émergence naturelle (sans fausse gencive), que la partie transgingivale de la prothèse puisse soutenir correctement les tissus en n de garantir l’esthétique dento-gingivale. Cela est rendu pos- sible par l’utilisation de piliers anatomiques de type Procera® (Nobel Biocare) [3].
La muqueuse aura été modelée au préalable par la prothèse transitoire, grâce à des formes de contour adaptées (concave en vestibulaire, plat ou convexe en proximal et palatin) [4]. L’objectif est ici de transférer au laboratoire, à la fois la position tridimensionnelle de l’implant et la forme exacte du berceau gingival péri-implantaire [5].
Lors du retrait de la prothèse transitoire, nous pouvons constater une collapse quasi instantanée des tissus (moins de 5 minutes) ( g. 1a et b). Cela a pour conséquence d’empêcher un enregistrement direct sur la muqueuse et indique l’utilisation de la prothèse transitoire comme référence morphologique.
La première étape consiste à dévisser la dent provisoire et la positionner sur une réplique. Le tout sera alors noyé dans un peu de silicone lourd a n d’enregistrer la forme de contour transgingivale ( g. 2a). A ce stade, il est important d’orien- ter (vestibulaire, mésial…) le silicone, a n de ne pas se tromper sur la position du futur transfert personnalisé. Après la prise du matériau, la dent provisoire est retirée et remplacée par un trans- fert de type porte-empreinte ouvert. L’espace vide entre le transfert et le silicone est alors investi par un composite ou une résine uide (par exemple, résine Duralay) ( g. 2b). Après polymérisation, le transfert est dévissé et ébarbé. Il est ensuite vissé en situation et le bord vestibulaire de résine est ramené à la fraise au niveau du rebord gingival ( g. 3a et b). Cela va permettre au prothésiste de valider la position verticale du parodonte marginal, contournant ainsi les éventuelles erreurs liées à la déformation dimensionnelle des fausses gencives en silicone. Le modèle de travail est donc ainsi la reproduction exacte de la situation clinique den- taire, implantaire et gingivale. Le prothésiste sera alors dans les meilleures conditions pour modéliser son pilier implantaire. Sa zone transgingivale sera la réplique exacte de celle organisée sur le provisoire a n de garantir le soutien et la stabilité des tissus péri-implantaires ( g. 4).

Communication des données fonctionnelles
La pérennité prothétique ne peut se concevoir sans une parfaite intégration fonctionnelle de nos restaurations implantaires. En dehors du cadre des restaurations partielles localisées, il est primordial de transférer au laboratoire les modèles de travail sur simulateur. Ainsi, les réglages fonctionnels seront le plus proche possible de la réalité clinique. Historiquement, le plan de référence en prothèse est le plan de Francfort, mais la plupart des articulateurs utilisent en fait le Plan Axio-Orbitaire (PAO) par approximation statistique comme référence. Comme le plan de Francfort, le PAO est un plan horizontal, mais qui passe postérieurement par les points condyliens. Ce plan de référence squelettique va servir à positionner le modèle maxillaire sur l’articulateur grâce à l’utilisation d’un arc facial, dans une position très proche de la réalité clinique, a n de pouvoir simuler au mieux la cinématique mandibulaire. Le montage du modèle mandibulaire se fera quant à lui grâce à l’enregistrement de la relation intermaxillaire. Il convient alors de choisir une position de référence. Dans le cadre de restaurations partielles, si l’OIM (occlusion d’intercuspidie maximale) du patient est fonctionnelle, il suf t de la conserver et de la renforcer grâce à la nou- velle restauration. Pour les restaurations de grande étendue associées à une occlusion de convenance non fonctionnelle, il convient d’utiliser la relation centrée (une position purement articulaire) comme référence et d’organiser les engrainements dentodentaires dans cette position. C’est la définition de l’occlusion de relation centrée (ORC). Pour plus de précision occlusale, il est conseillé d’enregistrer la relation inter-maxillaire au plus près de la DVO idéale [6]. Les méthodes de détermination d’une bonne DVO sont directement dérivées de la pro- thèse complète. Le premier élément est l’obtention de dimensions faciales harmonieuses en vue de face et de pro l lorsque le patient est en occlusion. Les tests phonétiques aideront aussi à sa détermination ; la prononciation du M, par exemple, devra dé nir un espace libre d’inocclusion pouvant aller de 2 à 5 mm et permettra de plus le choix d’une longueur dentaire idéale en fonction du niveau d’exposition des incisives centrales au repos. Il existe toutefois une grande capacité d’adaptation fonctionnelle aux variations de DVO, ce qui permet, dans de nom- breuses situations, de proposer une surélévation à des ns purement prothétiques.
Dans le cadre des réhabilitations totales implanto-portées, il est assez fréquent d’utiliser la prothèse transitoire de mise en fonction immédiate pour transférer la relation inter-arcade ( g. 5). Cette prothèse a en effet été en fonction durant plusieurs mois et a permis de valider l’équilibre neuromusculaire du patient. Le patient ne sera donc pas surpris par une position mandibulaire différente ou une variation de sa DVO. Cela offre en outre un support rigide d’enregistrement qui garantit la précision du montage.

Communication des données esthétiques
Dans les reconstructions du secteur antérieur, comme dans les grandes réhabilitations, il est également nécessaire de communiquer au laboratoire de prothèse les paramètres esthétiques du visage du patient. Ces informations précieuses permettront de créer des morphologies dentaires adaptées et un agencement parfaitement harmonieux. La photographie est un élément indispensable à la base de toute ré exion esthétique [7]. Sans entrer dans des protocoles photos complexes, il demeure nécessaire d’avoir des photos du visage de face avec différents niveaux de sourire et une photo du visage toujours de face, mais avec un rire forcé, bouche entrouverte. Cette situation proche de la grimace est obtenue très simplement en demandant au patient de prononcer assez fort la lettre A ( g. 6). Grâce au contraste créé par le fond de la bouche, le bord des dents maxillaires est parfaitement dessiné et facilite ainsi la mise en relation des dents avec le reste du visage. Deux lignes, l’une verticale l’autre horizontale, centrées sur le visage, permettront d’orienter la photo et d’évaluer simplement le niveau de symétrie ou d’asymétrie verticale et/ou horizontale. Dans 88 % des cas, la ligne de référence horizontale est la ligne bipupillaire. La ré-orientation du visage de façon à ce que le plan sagittal médian soit strictement vertical, ainsi que le recadrage de la photo, sont indispensables avant la transmission au laboratoire, a n d’éviter au pro- thésiste toute erreur de perception.
Bien que la photo permette, sur un plan diagnostic, de relever les digressions esthétiques, il n’est pas possible, sur une photographie, de quanti er le niveau d’erreur. Ainsi, le prothésiste n’aura qu’une simple tendance de correction non mesurable. L’utilisation de l’arc facial pour positionner le modèle maxillaire, très intéressant du point de vue occlusal, est souvent aussi une source d’erreur du point de vue esthétique [1]. En effet, on observe chez plus de 40 % des patients une absence, plus oumoins marquée, de parallélisme entre la ligne bipupillaire et le plan de Francfort, avec pour conséquence clinique une non-intégration esthétique des restaurations [8] ( g. 7). Ainsi, des couronnes en bonne position sur l’articulateur se retrouvent orientées obliquement dans la bouche du patient. Cela oblige le céramiste à modi er les formes et les axes des dents, avec pour conséquence la destruction d’une grande partie de la caractérisation des bords libres et une altération du rendu esthétique de la céramique.
C’est pourquoi nous utilisons depuis plusieurs années le système Ditramax® pour communiquer au laboratoire les axes de reconstruction esthétique [9]. Il permet d’enregistrer les lignes de référence esthétiques de la face et de les transférer directement sur le modèle en plâtre servant à la réalisation des prothèses ( g. 8a et b). Cet outil peut s’utili- ser aussi bien durant la phase de diagnostic pour la réalisation d’un projet thérapeutique, que lors de la réalisation de dents provisoires, ou lors de la phase nale de réalisation des prothèses d’usage. Le pro- thésiste aura ainsi la sensation de travailler devant le patient et pourra optimiser l’intégration esthétique des prothèses dès la première réalisation. Cette procédure évite de multiplier les essayages cliniques servant à corriger les formes et les axes des dents prothétiques en céramique, particuliè- rement chronophages pour le chirurgien-dentiste. De plus, la perception du céramiste est considé- rablement in uencée par le socle du modèle qui se situe très près de la zone à restaurer. Ce socle est meulé au laboratoire de manière totalement arbitraire en utilisant le plus souvent les dents res- tantes, le niveau gingival et les axes de préparation comme seules références. Il est important d’utiliser pour le socle un plâtre de même couleur que celui utilisé pour couler l’arcade a n de ne pas perturber la perception optique du céramiste.
Grâce au marquage du modèle réalisé par le Ditramax®, il est possible de tailler le socle pour rendre la base et ses bords respectivement parallèle et perpendiculaire au marquage horizontal ( g. 9). Le prothésiste dispose alors d’un socle de modèle parfaitement orienté et marqué du point de vue esthétique par deux lignes :
– une ligne horizontale parallèle à la ligne bi-pupil- laire dans le plan frontal, et latéralement orientée selon le plan de Camper ;
– une ligne verticale matérialisant le plan sagit- tal médian de la face. Le milieu inter-incisif sera reconstruit selon une orientation parallèle à ce marquage sans pour autant être obligatoirement confondu avec celui-ci. En vue latérale, le modèle est marqué par une parallèle au plan de Camper qui fournira, dans les cas de réhabilitation de grande étendue, une information importante sur l’orienta- tion à donner au plan d’occlusion [10].
Dans le cadre de l’édentement total, très fréquent en implantologie, l’utilisation du Ditramax® est fondamentale. En effet, le niveau et la forme de la crête édentée maxillaire ne sont que très rarement horizontaux, car sa résorption est directement liée au passif éthio-pathologique des dents. Ainsi, un côté de l’arcade est souvent plus coronaire ou apicale que l’autre ( g. 10a). Cela a pour conséquences un modèle mal orienté et un mon- tage de dents disgracieux car totalement oblique ( g. 10b). Le fait de marquer le modèle par le Ditramax® permet d’orienter la préparation du socle et de donner au prothésiste les lignes de reconstruction du montage. Le marquage latéral, parallèle au plan de Camper, donnera l’orientation du plan d’occlusion. Cela permet en outre d’anticiper d’éventuelles corrections sur l’arcade mandibulaire par meulage ou ajout a n de garantir une parfaite intégration fonctionnelle et esthétique ( g. 11a, b et c).

Conclusion
Dans l’attente d’un patient totalement virtuel, il est fondamental de prêter une attention particulière à la communication des données esthétiques et fonctionnelles au laboratoire de prothèse. En effet, tout défaut de transmission des données se traduit par une immense frustration pour le couple praticien/patient lors de l’essayage. Il est aujourd’hui possible de donner au céramiste la sensation de travailler directement sur le patient, ce qui facilitera grandement son travail et assurera ainsi une meilleure prévisibilité du résultat fonctionnel et esthétique.

Correspondance
Patrice Margossian
232 avenue du Prado – 13008 Marseille patrice.margossian@univmed.fr

Chirurgien dentiste à Marseille, le Docteur Patrice Margossian est spécialisé dans les greffes osseuses et gingivales et les implants dentaires, notamment les techniques d’extraction, implantation et mise en fonction immédiate.

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