logo

« Propriétés optiques des systèmes céramo-céramiques : Implications cliniques »

Margossian P., Laborde G.
Journal Clinic N°28. juillet 2007

Comme le disait John Mac Lean en 1965 [1] : « La restauration de l’apparence naturelle d’un sourire ne peut se concevoir sans l’utilisation de systèmes tout céramique. » Ce père visionnaire de la céramique moderne avait vu juste il y a plus de 40 ans et… que de progrès ont été faits depuis ! Après avoir connu les restaurations résino-métalliques et céramométalliques, l’arrivée des infrastructures en céramique de haute résistance en dentisterie prothétique a marqué l’avènement de l’ère du céramo-céramique. Le procédé céramo-métallique, bien que toujours d’actualité car présentant un large champ d’indications (restaurations scellées, unitaires, plurales, supports de prothèses partielles amovibles,bridges et attelles collés), atteint toutefois ses limites en matière de mimétisme et de biocompatibilité. La restauration céramo-céramique, qui associe une céramique d’infrastructure à une céramique cosmétique d’émaillage, doit assurer résistance mécanique à long terme, biocompatibilité et apparence naturelle. Au cours des 10 dernières années, de nombreux systèmes ont vu le jour ainsi qu’une amélioration régulière des propriétés mécaniques des matériaux qui ont permis de très largement étendre le champ des indications cliniques. Il est aujourd’hui possible de concevoir des infrastructures
en zircone allant jusqu’à 14 éléments et, ainsi, d’apporter une solution céramo-céramique à tout type d’édentement. L’aspect mécanique de ces systèmes a été amplement documenté et leur fiabilité démontrée, tant sur le plan de leur résistance en fatigue que sur celui de leur biocompatibilité [2]. Pour autant, tous les systèmes céramo-céramiques sont-ils équivalents au niveau de leurs propriétés optiques et donc de l’apparence naturelle recherchée ? Ces propriétés optiques ne se limitent pas à la couleur de la restauration (luminosité, teinte, saturation) et sont directement fonction de la nature du matériau, de son épaisseur, de son état de surface, du mode d’assemblage et du type de substrat sous-jacent. L’interprétation optique de l’observateur sera la synthèse de l’interaction de la lumière avec l’ensemble de ces éléments.

Nature du matériau céramo-céramique

Lorsque la lumière rencontre la dent naturelle, le rayonnement incident sera partiellement soit transmis, soit absorbé, soit réfléchi, soit réfracté sous une couleur et une orientation différentes. À ces caractéristiques de base s’associent des événements optiques simultanés propres à la dent telles l’opalescence et la fluorescence [3].
La dent naturelle est une entité stratifiée d’émail et de dentine à la composition et au comportement optique différents. La couche d’émail superficielle, très minéralisée, est semi-translucide, alors que la couche de dentine sous-jacente, beaucoup plus épaisse, est semi-opaque. L’opalescence est le fait de la dispersion de la lumière par les cristaux d’hydroxyapatite contenus dans l’émail, conférant un effet bleuté aux rayons réfléchis et ambré aux rayons transmis. La fluorescence est essentiellement le fait de la dentine, elle est définie comme la capacité à absorber une énergie rayonnante et à l’émettre sous la forme d’une longueur d’onde différente. Sous lumière ultraviolette, la dent naturelle présente une fluorescence bleu mauve caractéristique.
Le comportement optique des systèmes céramocéramiques est essentiellement fondé sur leur translucidité afin de favoriser une circulation de la lumière dans l’ensemble dent/restauration la plus proche possible de celle de la dent naturelle [1]. La translucidité définit les nuances que l’on rencontre entre l’opacité complète (par exemple le métal) et la transparence totale (par exemple le verre). Cette notion est à mettre directement en rapport avec le type de système utilisé, l’épaisseur des matériaux et le nombre de cuissons [4, 5].
La translucidité prend toute son importance lorsqu’on fait varier le support dentaire sous-jacent (pilier avec dyschromie, reconstitution corono-radiculaire métallique, pilier implantaire en titane…) (fig. 1 et 2).
En effet, la connaissance du niveau de translucidité du système permet de rechercher un effet masquant ou, au contraire, d’aller vers une translucidité extrême capable de véhiculer les rayons incidents jusque dans les tissus marginaux [6-8].La situation clinique imposera le type de comportement optique à adopter, l’opacité totale étant bien entendu à éviter pour ne pas retomber dans les carences esthétiques des systèmes céramo-métalliques,notamment au niveau des zones cervicales et de l’obscurcissement des tissus mous péridentaires (fig. 3).
On peut classer les systèmes céramo-céramiques en deux grandes catégories : les systèmes translucides et semi-translucides.

Systèmes translucides

Il existe plusieurs systèmes translucides,par exemple Dicor (Dentsply),Willi’s Glass (Geller WK),CeraPearl (Kyocera), Optec (Jeneric), IPS Empress (Ivoclar Vivadent) et In-Ceram Spinell (Vita Zahnfabrik). L’Empress®1 (fig. 4), qui est une céramique feldspathique chargée en leucite pressée de très grande translucidité, est contre-indiqué si la préparation dentaire a une dyschromie ou si elle porte une reconstitution métallique [8]. En effet, seule une épaisseur de 2 mm d’Empress-1® ou de 1,5 mm d’Empress-2® est capable d’avoir un pouvoir masquant suffisant ; si l’on y ajoute l’épaisseur de la céramique cosmétique, cela rend le système inutilisable. Au niveau d’épaisseur recommandé par le fabriquant (0,8 mm), ce système laissera transparaître un substrat coloré [9-11]. Les systèmes semi-translucides sont plus sensibles aux variations d’épaisseur que les systèmes semi-opaques. Ainsi, pour l’In-Ceram Spinell et l’Empress-1®, une augmentation de l’épaisseur entraîne une diminution importante de leur luminosité et une variation de la teinte de la céramique [12, 13].

Conséquences cliniques

Les restaurations unitaires sur pilier non coloré semblent être la pleine indication de ces systèmes céramocéramiques auxquels leur grande translucidité confère un avantage certain. Toutefois,l’épaisseur importante de l’armature (recommandation du fabriquant : 0,8 mm pour l’Empress-2®) est à mettre en rapport avec les résultats de certaines céramiques alumineuses ou en zircone (par exemple Procera Alumine), au niveau de translucidité équivalent [14] pour une épaisseur de 0,4 mm mais aux propriétés mécaniques nettement supérieures (résistance à la flexion Empress-2® : 350 MPa, contre 700 MPa pour le Procera Alumine et 1 100 MPa pour la zircone) [2].
Pour les facettes en céramique (fig. 5) sur les dents antérieures pulpées, il est souvent difficile d’obtenir des épaisseurs de réduction suffisantes pour mettre en place un matériau d’armature et un matériau cosmétique, sans prendre le risque de créer un surcontour incisif ou de rendre les restaurations monochromatiques par une présence trop marquée du matériau d’infrastructure.Le meilleur choix semble encore être la céramique feldspathique, dont le comportement mécanique à long terme sera potentialisé par le collage [15] (fig. 6).

Systèmes semi-translucides

Il s’agit des céramiques alumineuses frittées puis infiltrées du type In-Ceram Alumina® et In-Ceram Zirconia® (Vita Zahnfabrik),de la céramique Cerestore (Dentsply/Ceramco) et Hiceram (Hiceram Dental Laboratory),ainsi que de toutes les céramiques en zircone issues de la CFAO (Lava, Kavo, Procera…).
À l’exception de l’In-Ceram Zirconia® qui est quasiment opaque [16] et de l’In-Ceram Alumina® semiopaque, les autres systèmes sont semi-translucides (fig. 7 et 8).
L’armature alumine Procera® (0,6 mm) (fig. 9) n’est quasiment pas influencée par la décoloration du pilier et a donc un bon pouvoir masquant [16, 17] (fig. 10 et 11). De façon croissante, l’In-Ceram Alumina® et l’In-Ceram Zirconia® gagnent en opacité avec l’augmentation de la résistance mécanique [14, 18].
Les trois armatures In-Ceram (Spinell,Alumina,Zirconia) utilisent des verres d’infiltration, choisis en fonction de la teinte de base sélectionnée, infiltrés avec ou sans vide, provoquant des effets optiques différents. Les armatures en matériau Y-TZP (fig. 12) sont bien plus translucides que l’armature In-Ceram Zirconia® tout en gardant la possibilité de masquer les piliers décolorés [14]. La relative translucidité de l’armature Lava® serait comparable, avec 0,5 mm d’épaisseur, à celle du système Empress-2® pour une épaisseur de 0,8 mm. L’armature préfrittée de certains systèmes Y-TZP (par exemple Lava® de 3M) est colorée à la demande selon 8 teintes du teintier Vita Lumin. Pour tous les systèmes proposés, outre le choix du type d’armature,la maîtrise artisanale de la stratification de la céramique cosmétique conditionne l’aspect naturel de la restauration (fig. 13). Le manque de fluorescence du matériau en zircone est compensé par l’ajout de terre rare luminophore (europium,terbium,cérium) dans la céramique cosmétique [19]. L’armature In-Ceram Zirconia® peut être difficile à masquer par la stratification cosmétique d’éléments du secteur antérieur maxillaire. L’In-Ceram Zirconia® représente un cas particulier au comportement optique quasiment opaque (fig. 14 et 33).

Conséquences cliniques

L’arrivée de la zircone a permis d’élargir au maximum le champ des indications prothétiques, allant de l’élément unitaire jusqu’au bridge de 14 éléments ainsi que la réalisation de pilier implantaire (fig. 15 et 16). Cette armature semi-translucide permet toutefois une bonne distribution de la lumière et garde en même temps son pouvoir masquant sur d’éventuels piliers colorés ou supportant des reconstitutions corono-radiculaires métalliques [20, 21]. Les piliers implantaires en zircone, outre leur bonne propriété mécanique, permettent une diffusion de la lumière dans le matériau ainsi que dans le tissu mou péri-implantaire, ce qui améliore l’effet naturel recherché (fig. 17 à 21).

Épaisseurs de réduction

Les épaisseurs de réduction sont conditionnées par le choix du système et les recommandations minimales du fabriquant.Ce facteur devra être analysé en tenant compte du projet prothétique avant toute préparation. Le système idéal sera celui qui offrira les meilleures qualités optiques, une excellente fiabilité mécanique, et ce sous la plus petite épaisseur possible afin de préserver au maximum l’organe dentaire. Enfin,le comportement optique des céramiques varie linéairement en fonction de leur épaisseur. Celles qui sont translucides restent plus sensibles à ce phénomène que les semi-translucides [12, 13]. Cela a deux conséquences cliniques :
– la mesure de l’épaisseur vestibulo-palatine de la couronne à la jonction des tiers moyen et incisif, décrite par Chiche et Pinault [22], est capitale et conduit à une grande prudence si cette valeur est inférieure à 2,5 mm (fig. 22 et 23) ;
– une préparation minimale de la face palatine peut s’avérer nécessaire pour ménager un espace suffisant en vestibulaire afin de pouvoir positionner le matériau d’armature et son cosmétique sans créer de surcontour inesthétique ou d’hyperfonction du guide incisif.La face palatine de la couronne sera alors presque totalement occupée par le matériau d’armature.

États de surface

En plus de ses propriétés intrinsèques et de son épaisseur, l’état de surface de la céramique joue un rôle important dans l’interprétation optique de l’observateur. La face vestibulaire d’une incisive centrale est caractérisée par sa macrotexture (succession de formes concaves et convexes) et sa microtexture (stries souvent horizontales associées à un rendu satiné ou brillant selon les cas) (fig. 24).
En denture naturelle, ces caractéristiques de surface sont variables d’un individu à l’autre et évoluent avec l’âge sous différentes actions érosives des muscles péri-oraux (joue et lèvres, abrasion…) [23, 24].
Par conséquent, la surface de la restauration devra s’inspirer grandement de l’état de surface controlatéral afin de simuler le mieux possible la réflexion lumineuse (fig. 25 et 26). Il est possible de visualiser cet état de surface en frottant, sur les faces vestibulaires, un papier d’occlusion (fig. 27) ou en appliquant un film argenté (fig. 28 et 29) sur la dent controlatérale du modèle de travail [25].

Mode d’assemblage

Le mode d’assemblage dépend directement du système utilisé. Si la céramique possède une phase vitreuse (par exemple feldspathique,Empress-1® Empress-2®), la survie à long terme peut être obtenue grâce aux phénomènes d’adhérence acquis par mordançage chimique (acide fluorhydrique) de cette phase, silanisation et assemblage grâce à un polymère de collage [26-29].Selon Magne et Belser [15], le collage peut apporter une contribution intéressante à la résistance mécanique, la résine de collage permettant de « répartir » les contraintes occlusales sur la couronne. De plus, la fermeture des tubuli dentinaires obtenue après l’application d’un système adhésif semble être le traitement de choix du complexe pulpo-dentinaire (fig. 6).
Le mordançage par l’acide fluorhydrique a peu ou pas d’action sur les autres types d’armatures et ne peut donc pas améliorer l’adhérence à l’interface résine adhésive/restauration.Tout assemblage utilisant des ciments adhésifs (ciment verre ionomère avec adjonction de résine,composites modifiés par adjonction de polyacides, résines) peut être choisi avec des résultats cliniques très satisfaisants. Différents matériaux sont à la disposition du praticien:
– les verres ionomères renforcés à la résine (fig. 30) ;
– les résines 4-META/MMA-TBB (par exemple SuperBond C & B18) ;
– les résines composites à base de MDP (par exemple Panavia®) ;
– les nouveaux matériaux composites automordançants (par exemple RelyXTM Uni-Cem®).
L’influence de la couleur de l’agent d’assemblage sur le résultat global varie, selon les estimations de 10 à 15 % [30]. Sur des épaisseurs de 60 μm de ces différentes colles, représentant le joint dento-prothétique moyen pour les systèmes céramo-céramiques, aucune différence de couleur n’a pu être observée. Il paraît dans tous les cas illusoire de vouloir modifier la teinte d’une restauration par l’utilisation d’un agent de fixation de couleur variable.

Types de supports

Le type de support est le dernier facteur à pouvoir influencer la perception optique d’une restauration [31-34]. En fonction du système utilisé et de son épaisseur, des effets masquant ou translucides seront obtenus. La translucidité ou l’opacité de l’armature peut être utilisée comme un atout face à la situation clinique. Dans le cas de piliers pulpés ou sans dyschromie, l’utilisation d’une armature translucide est un avantage afin de permettre la diffusion de la lumière dans la dent et les tissus marginaux. A contrario, un pilier décoloré (fig. 31 et 32) (dyschromie radiculaire et/ou faux moignon métallique,pilier implantaire en titane) nécessite une armature plus opaque afin de supprimer toute influence défavorable du substrat sur le résultat esthétique final.Une dyschromie radiculaire en présence d’un parodonte fin nécessite alors un épaississement des tissus marginaux afin d’éviter toute influence néfaste sur l’apparence naturelle des tissus gingivaux [35].
Il est primordial d’adapter le système en céramique utilisé au type de support et non l’inverse, afin de ne pas dépasser les indications cliniques de certaines reconstitutions corono-radiculaires esthétiques [36].

Conclusion

Une très bonne connaissance des propriétés optiques et de la résistance mécanique des différents systèmes céramo-céramiques est fondamentale pour indiquer leur bonne utilisation en fonction de la situation clinique (tableau 1 et fig. 33). Le talent du céramiste dans la maîtrise de la technique de stratification et du rendu des états de surfaces reste néanmoins le facteur clé de réussite de toutes restaurations esthétiques.

Le Dr Patrice Margossian, Chirurgien dentiste installé à Marseille, est spécialisé en Implantologie dentaire, greffes osseuses, greffes sinusiennes et greffes gingivales

  • Partager