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Analyse tissulaire et traitements esthétiques Respecter ou mutiler ?

JF Lasserre (UFR de Bordeaux), H Lafargue, JP Attal, A Perceval, G Laborde, A Brabant, P Margossian, S Armand
L’INFORMATION DENTAIRE n° 35 – 19 octobre 2011

Responsable scientifique : JF Lasserre (UFR de Bordeaux)
Conférenciers : H Lafargue, JP Attal, A Perceval, G Laborde, A Brabant, P Margossian, S Armand

La dentisterie actuelle a les moyens d’être non mutilante en comparaison de la dentisterie traditionnelle plus agressive vis-à-vis des tissus. Les progrès de ces vingt dernières années relatifs à l’implantologie, à l’adhésion, à l’éclaircissement et à l’orthodontie de l’adulte nous permettent aujourd’hui de limiter grandement les mutilations dentaires, et ce tout en répondant aux impératifs fonctionnels, biologiques, mécaniques et esthétiques. D’ailleurs, nos patients, informés par les sites internet spécialisés, en sont conscients et ils expriment fréquemment cette demande de préservation tissulaire, avec leurs propres mots, dès la première consultation.
Il peut être difficile pour un praticien non formé récemment d’accepter cette évolution irréversible de notre métier. Pour mieux faire prendre conscience des agressions tissulaires, Gil Tirlet et Jean-Pierre Attal ont défini le concept de « gradient thérapeutique » [8] qui consiste en un classement des thérapeutiques actuelles sur un axe orienté de la gauche vers la droite, de la thérapeutique la moins mutilante à la thérapeutique la plus mutilante, et que nous devons avoir présent à l’esprit dans toutes nos décisions.

Le développement d’une microdentisterie

Depuis l’arrivée des systèmes adhésifs, nous sommes entrés de plain-pied dans l’ère de l’odontologie conservatrice. La pratique moderne nous impose une microdentisterie, avec une conservation maximale des tissus durs dentaires. Avant de débuter tout curetage, il sera important pour le clinicien d’évaluer la voie préférentielle, la stratégie de traitement afin d’effectuer la plus petite cavité possible. Pour les dents cuspidées, la conservation ou non de la crête marginale est un point essentiel pour la biomécanique de la dent. Cette dentisterie conservatrice nécessite de nouveaux instruments (diminution
des parties actives avec la micro instrumentation, utilisation des ultrasons) (fig. 1) et de l’abrasion pour la mise en forme des cavités et pour enlever les tissus pathologiques avec la sono abrasion et l’air-abrasion [6, 9].
Il existe d’ailleurs un challenge contradictoire entre la recherche de l’augmentation de la surface d’émail pour le collage et l’application du principe d’économie tissulaire. La combinaison de cette approche avec les techniques de stratification donne des résultats très biomimétiques, en particulier sur les dents antérieures (fig. 2 et 3).

L’importance du projet prothétique pour préparer juste

Dans les techniques indirectes des Restaurations Adhésives de Céramique (RAC), le « projet thérapeutique morpho-fonctionnel », ou plus simplement « projet prothétique », est essentiel. Il consiste en une prévisualisation morphologique du résultat final souhaité. Il peut être réalisé sur modèle puis reporté en bouche par l’utilisation de clefs de silicone (fig. 5) ou il peut être réalisé directement en bouche dans la technique des masques. C’est l’adéquation entre la préparation et le projet thérapeutique qui permet de respecter le principe de « moindre mutilation » ou d’« économie tissulaire » en n’enlevant que les épaisseurs de tissu nécessaires aux matériaux cosmétique. Les techniques de pénétration contrôlée par rainurages horizontaux ou verticaux sont classiques (fig. 4) [5, 7].
Pour les RAC, c’est le mode d’assemblage par collage et l’intégration des paramètres technologiques liés aux céramiques qui conditionnent aussi les spécificités des préparations. Suivant les situations cliniques, le praticien adoptera une céramique feldspathique pour ses grandes qualités esthétiques ou une vitrocéramique renforcée au disilicate de lithium (Emax® d’Ivoclar-Vivadent) pour sa meilleure résistance aux contraintes mécaniques tout en conservant une excellente aptitude au collage. Lors de la préparation, la préservation de l’émail est une préoccupation constante à la fois en termes d’économie tissulaire et d’aptitude au collage.

Dépulpation ne signifie plus indication de couronnes

La dépulpation d’une dent était traditionnellement suivie de la mise en place d’une couronne pour la protéger de la fragilité dans le temps des tissus dépulpés. De nouveaux concepts pour les dents cuspidées ont vu le jour avec le renforcement des parois restantes par collage d’inlays ou onlays composites. La couronne ne se justifie plus systématiquement pour la dent dépulpée. (fig. 6 et 7).

Bridges collés quand la biomécanique rime avec préparations a minima

Dans certains cas cliniques où l’implantologie ne peut être indiquée, les bridges collés peuvent offrir une thérapeutique fixe alternative permettant d’appliquer les principes d’économie tissulaire. Grâce à l’association entre une colle à haute performance et une préparation amélaire optimisée en design rétentif auto-stabilisant, le concept du bridge collé peut relever des défis surprenants là où d’autres techniques ne sont pas applicables ou seraient trop mutilantes. Une rétention primaire macroscopique par stabilisation géométrique est préconisée sur des préparations de quelques dixièmes de millimètres pour augmenter la fiabilité du collage, car les sollicitations mécaniques de l’assemblage sont systématiquement amplifiées par des porte-à-faux plus ou moins importants des dents céramiques.
Souvent, les configurations de type cantilever apportent de grandes satisfactions en termes de rapport « coût/santé/sécurité » [2, 3].
Les préparations sont strictes et architecturées en alliant des rainures fines, des puits, des cerclages cervicaux et en recherchant les oppositions de parois, c’est-à-dire la biomécanique traditionnelle. Toutes ces formes sont préparées dans l’émail des dents bordant l’édentation.
Ces bridges restent céramo-métalliques, car l’usinage de la zircone ne permet hélas pas encore d’obtenir des angles internes nets indispensables à la stabilité primaire. De plus, la zircone exige des sections de jonctions proximales souvent trop grandes pour pouvoir respecter l’esthétique. (fig. 8 et 9).

Il existe toujours des indications pour les couronnes et les bridges

L’arrivée du collage en dentisterie a permis le développement des techniques de restaurations partielles et donc une meilleure préservation de l’organe dentaire. Pour autant, doit-on considérer les techniques prothétiques fixées traditionnelles (couronnes et bridges) comme obsolètes ? Ces restaurations bénéficient en effet d’un recul clinique très important et représentent le quotidien de la majorité des dentistes. Il serait aberrant d’opposer d’un côté les gentils conservateurs des restaurations partielles collées et de l’autre les méchants mutilateurs avec leurs couronnes et leurs bridges. Comme toujours, c’est le pronostic à long terme qui doit primer afin d’offrir à nos patients la bonne et juste indication thérapeutique. Lors de réfections prothétiques de restaurations existantes ou lorsque les pertes de substances sont trop importantes, il est normal de s’orienter vers des restaurations coronopériphériques totales. Ces protocoles sont parfaitement codifiés (préparation, temporisation, empreinte, assemblage) et demande juste un peu de rigueur clinique et quelques petits tours de main pour obtenir un bon résultat fonctionnel et esthétique [4].
La réfection de bridges déjà existants, le délabrement des dents piliers, l’affaiblissement du support parodontal justifiant des bridges de contention ou des exigences esthétiques majeures de la part du patient maintiennent un large champ d’indications aux restaurations périphériques totales. (fig. 10 et 11).

L’implantologie recrée l’organe absent

L’implantologie recrée les organes absents et constitue dans ce sens un retour vers un état antérieur plus fonctionnel. À ce titre, cette discipline devrait être située au commencement du gradient thérapeutique évoqué en introduction. De plus, dans l’édentement intercalaire, l’implant « protège » les dents voisines de la sur fonction qu’elles auraient eu dans une indication de bridge, ce qui améliore leur longévité. Cependant, en aucun cas le choix ne doit se faire en fonction du tropisme thérapeutique du praticien.
La solution choisie doit être le résultat d’une analyse clinique rigoureuse qui permet d’orienter le patient vers le traitement le mieux adapté dans le contexte clinique. L’analyse des tissus concernés constitue un élément majeur dans ce choix thérapeutique. L’espace biologique tridimensionnel est variable en fonction du type de support (dent ou implant) sachant que cet espace doit être augmenté autour des implants pour compenser le déficit de vascularisation dû à l’absence de desmodonte. Par exemple, dans le sens mésio-distal, l’espace biologique entre deux dents doit être au minimum de 1 mm, alors qu’entre deux implants il doit se situer entre 2 et 3 mm [1].
Quel que soit le support (dent ou implant), le choix final découle de cette analyse
et des différents traitements pré-prothétiques destinés à améliorer les conditions tissulaires et anatomiques buccales. (fig. 12 et 13).

Conclusion

Ainsi, la dentisterie actuelle, face à une même situation clinique, offre une grande variété de possibilités thérapeutiques. La décision dépend des éléments diagnostic, et de manière plus large de facteurs économiques et sociaux liés au patient, mais dans tous les cas c’est le respect tissulaire et l’amélioration buccale en termes de santé qui doivent orienter nos choix. Nous devons impérativement prendre en compte l’avènement des nouveaux matériaux et des nouveaux concepts cliniques pour bien soigner.

Installé à Marseille, le Docteur Patrice Margossian est Chirurgien dentiste spécialisé dans les implants dentaires, greffes osseuses, greffes de sinus et greffes de gencive.

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