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Analyse biométrique des symétries/asymétries faciales

A. SETTE, G. LABORDE, M. DODDS, G. MAILLE, P. MARGOSSIAN
Stratégie prothétique mai-juin 2014 vol 14, n° 3

Comment vérifier le parallélisme entre les lignes bi-pupillaire et bi-commissurale ? Quel est le protocole photographique utilisé dans cette étude biométrique ? Quels sont les résultats sur les symétries faciales ?

L’esthétique du sourire est créée par l’harmonie de la composition dento-gingivale dans le sourire au sein du visage de nos patients. Certains principes fondamentaux, universellement reconnus, déterminent notre appréciation de ce qui est considéré comme esthétiquement attrayant (1, 2).
À notre époque, santé et élégance sont des atouts majeurs, et les espérances des patients et l’image qu’ils ont de leur personne nous contraignent à toujours améliorer les standards en dentisterie, et à répondre à des demandes de plus en plus pressantes pour réussir des prothèses naturelles (3). Une analyse faciale, dento-labiale, dentaire, gingivale est un point de départ indispensable à une réhabilitation prothétique. En effet, une analyse esthétique préalable à un traitement prothétique donne au praticien l’information nécessaire au choix des meilleures approches en fonction de chaque individu (4, 5).
La communication entre le praticien et le prothésiste est indispensable à l’obtention du résultat prévisible recherché. La transmission des données esthétiques au laboratoire permet, quant à elle, d’aider le céramiste à optimiser le résultat afin d’obtenir un sourire en harmonie avec le visage (6). L’objectif de ce travail consiste à établir des standards quant à l’utilisation des plans de références faciaux lors de reconstruction dentaire et gingivale.
En dentisterie esthétique, il est admis que la restauration doit être en accord avec la gencive, le sourire, et plus globalement, avec le visage du patient, lui-même défini par le cadre facial, représenté par des référentiels horizontaux et verticaux (7), ce qui suppose une analyse faciale, dento-labiale optimale.
De nombreux auteurs ont montré que la Ligne Bi-Pupillaire (LBP) doit être considérée comme la référence horizontale de nos thérapeutiques, de même que la Ligne Sagittale Médiane (LSM) doit être considérée comme référence verticale (4, 8). Jusqu’à aujourd’hui, aucune étude n’a montré la pertinence de l’utilisation de l’horizon comme référence horizontale. En est-il est de même pour les attitudes thérapeutiques à adopter dans les situations d’asymétries faciales (7), qu’elles soient verticales ou horizontales ?

Cette étude a plusieurs objectifs :
• vérifier s’il existe un parallélisme entre les lignes bi-pupillaire (LBP), bi-commissurale (LBC), l’horizon et un cadre facial de référence du visage,
• définir quelle est la référence horizontale la plus pertinente à utiliser lors d’une réhabilitation esthétique ,
• mesurer les angles formés entre le plan esthétique, le plan de Francfort et le plan de Camper,
• vérifier dans une vue de profil du visage que le plan esthétique est confondu avec l’horizon lorsque le patient a la tête droite et qu’il fixe son regard au loin.
Parallèlement, pour intégrer ces notions, il nous semble nécessaire d’évaluer le seuil de perception du parallélisme entre deux lignes par l’oeil humain, et donc intégrer une restauration dans un visage, avec des axes de références harmonieux, permettant de répondre aux traitements restaurateurs du secteur antérieur maxillaire.
Enfin, l’ensemble du protocole établi doit permettre une analyse de la symétrie faciale horizontale et verticale dans un plan frontal. Cette analyse permet de démontrer si un visage est symétrique ou non, et, le cas échéant, de qualifier et quantifier cette asymétrie. Cette partie de l’étude est destinée à comprendre comment intégrer au mieux dans nos thérapeutiques les notions de symétrie/asymétrie.

Matériels et Méthodes

Protocole photographique
Le protocole utilisé dans cette étude consiste en la réalisation d’une série de photographies du visage : trois de face (repos – sourire léger – sourire forcé), et
une de profil à l’aide d’un appareil photographique
numérique (Nikon D90). Ce protocole est réalisé sur 160 étudiants en Odontologie de la Faculté de Marseille. Une information complète est délivrée à chacun d’eux. Un délai de réflexion de 48 heures est respecté et les sujets ne sont inclus dans l’étude qu’après avoir posé toutes leurs questions sur le protocole à l’investigateur principal. De plus, ils doivent avoir lu, approuvé et signé un consentement éclairé. Les critères d’exclusion sont :
– les photographies floues ou non cadrées,
– le sujet fermant les yeux,
– le sujet ne regardant pas droit devant lui ou ne se tenant pas droit,
– sujet sans aucun antécédent de traitement orthodontique ou de reconstruction prothétique sur les dents antérieures,
– sujet sans passé traumatique au niveau de la face.
Le nombre de sujets nécessaires pour cette étude a été calculé pour mettre en évidence de façon significative une différence de 1° entre la ligne bi-pupillaire et le plan horizontal de référence, avec un risque d’erreur de première espèce α = 5 % et une puissance (1-β) = 80 %. Le nombre de sujets nécessaire est évalué à 45 individus.
L’appareil photographique est positionné sur un trépied à la hauteur des yeux du patient et réglé de façon à reproduire l’horizontalité. De même, un dispositif laser (Black et Decker) permet la projection sur un arrière-plan monochrome d’une ligne horizontale et d’une ligne verticale. Les clichés sont pris, sujets debout regardant l’objectif de l’appareil. L’ensemble des photographies est réalisé à une distance d’un mètre et trois mètres pour chacun d’eux.

Analyse des photos
Les photographies sont ensuite transférées sur un ordinateur (Imac®-MacosX®), et exploitées grâce au logiciel Keynote® (2011). Sur la photographie de face de chaque sujet, un cadre que nous avons dénommé cadre facial de référence est réalisé par conception numérique afin de préciser la position spatiale et l’axe du visage. Ce cadre rectangulaire est tracé en vert sur une photo de face de façon à circonscrire harmonieusement le visage du patient. Sa médiane définie la référence verticale du visage. À partir de cette médiane, des parallèles délimitent verticalement ce cadre facial, et deux perpendiculaires ferment horizontalement le cadre (fig. 1). Six observateurs, 3 dentistes et 3 non-dentistes, ont validé le positionnement harmonieux du cadre de référence autour du visage.
Ensuite, les lignes de référence horizontales (LBC-LBP) sont tracées en jaune sur les photographies (fig. 1). Des segments bleus tracés sous la ligne bi-pupillaire permettent de quantifier une éventuelle asymétrie faciale horizontale (fig. 2). Enfin, sur les photos de profil, le plan de Camper est représenté en bleu (fig. 3).

Mesure du seuil de perception du parallélisme par l’oeil humain
Deux segments, l’un de 6 cm représentant la LBP, l’autre de 4 cm pour la ligne LBC sont tracés parallèlement sur une feuille, espacés de 7 cm (distance LBC au bord libre de l’incisive centrale). On réalise des duplicatas de ces tracés, en faisant varier l’angle initialement nul, par paliers de 0,5 degrés. Des tracés de -3° à 3° sont alors obtenus et présentés aléatoirement, chaque sujet, à hauteur du regard et à une distance de 1 mètre et 3 mètres. Chaque sujet doit exprimer son ressenti sur le parallélisme ou non des droites (fig. 4).

Résultats

Expérience 1

Analyse des lignes de référence
Les variables mesurées sont les angles observés entre les lignes bi-pupillaire, bicommissurale, d’horizon, l’horizontale du cadre, le plan incisif et le plan de Camper et la différence entre les distances « pupille droite – LSM » et « pupille gauche – LSM ». Il s’agit donc uniquement de variables quantitatives continues. Les tests statistiques utilisés dans l’étude du parallélisme des lignes horizontales, pour comparer une moyenne à une valeur théorique ou deux moyennes entre elles, sont le test Z et le test des « randomized blocks » pour comparer plusieurs moyennes sur échantillons appariés. Le test statistique utilisé dans l’étude de la symétrie du visage, est
un test de Student apparié.
Tous ces tests sont mis en place avec un risque d’erreur α = 5 % et une puissance (1-β) = 80 %.
Les tests statistiques réalisés ont permis d’objectiver les moyennes suivantes :
– 0,51° entre la ligne bi-pupillaire et l’horizon du cadre,
– 1,97° entre la ligne bi-pupillaire et l’horizon laser,
– 0,67° entre la ligne bi-pupillaire et la ligne bi-commissurale,
– 0,96° entre la ligne bi-pupillaire et le plan incisif,
– 2,18 mm d’asymétrie horizontale, (mesure LSM – pupille droite/LSM – pupille gauche),
– 1,75° entre l’horizon du cadre et l’horizon laser.

Symétrie/Asymétrie (fig. 5)
La symétrie faciale existe chez 36 % des sujets de l’étude. Une majorité des sujets (64 %) photographiés présentent des asymétries faciales. Elle se décompose ainsi :
– 52,4 % d’asymétries horizontales (différence de largeur droite/gauche) ,
– 6,9 % d’asymétries verticales (différence de hauteur droite/gauche, niveau orbitaire) ,
– 4,7 % d’asymétries mixtes, verticales et horizontales.
L’asymétrie horizontale est souvent importante avec 31 % des sujets présentant une différence de largeur entre le côté gauche et le côté droit supérieure à 1,5 mm.

Orientation latérale du plan esthétique
Dans une vue de profil, la différence entre le plan de Camper et de Francfort est de 18°. Le plan esthétique est situé 8° audessus du plan de Camper et 10° en dessous de Francfort.

Expérience 2

Seuil de perception du parallélisme par l’oeil humain
Le tableau I met en évidence que, dans les conditions de l’expérimentation, le seuil de perception du parallélisme par l’oeil humain à 3 mètres pour percevoir le strict parallélisme se situe autour de 0,5° pour environ 4 % (± 1%) des observateurs. À partir de 1°, environ 27 % (± 2%) de la population perçoit l’absence de parallélisme. Cette sensibilité est légèrement supérieure lorsque l’observation se fait à 1 mètre.

Discussion

L’analyse faciale est une étape clé de tout traitement esthétique. Les standards esthétiques empiriques de reconstruction (4, 8, 11) doivent être confrontés à des études biométriques pour confirmer ou infirmer ces notions. Contrairement à ce qui a déjà été fait dans la littérature (12-13), il nous est paru important de comparer les lignes de référence anatomiques, horizontale (LBP) et verticale (LSM) par rapport aux axes de reconstruction idéale du visage repéré avec le cadre facial de
référence DITRAMAX® (vert).
La comparaison de l’axe vertical déterminé par le cadre de référence nous a permis de faire la différence entre de vraies asymétries faciales et un port de tête incliné. Contrairement à Lee, notre étude montre que l’horizon de référence est inefficace, avec une divergence importante d’environ 2°:
– 0,51° de moyenne entre la ligne bi-pupillaire et l’horizontale du cadre ;
– 1,97° de moyenne entre la ligne bi-pupillaire et l’horizon laser.
En effet, le tableau II met en évidence le degré de fiabilité des inter-relations entre les lignes horizontales :
– très efficientes entre, LBP, Hc, LBC.
– efficientes entre LBP, HC et PI
– inefficaces quant à Hr.
La seconde expérience a pour objectif de déterminer le seuil de perception du parallélisme par l’oeil humain entre deux lignes simulant la ligne bi-pupillaire et le plan incisif. Par des variations d’angle de la ligne incisive sur une photo de visage modifiée par informatique, Behrend (14) trouve une sensibilité d’environ 1° avec 21 observateurs. Dans notre étude, le test se limite à l’observation de deux lignes, sans l’influence du visage, afin de focaliser sur la sensibilité de l’oeil à percevoir
le strict parallélisme. Ce test fait avec 160 observateurs, montre une sensibilité supérieure à 0,5° pour 5 % de la population et à 1° pour le plus grand nombre (tableau I).
Ces résultats montrent un pouvoir discriminant de l’oeil humain à partir de 1°. Ainsi, dans 88,4 % des cas (36 % de symétriques + 53 % d’asymétries horizontales, voir fig. 5) la ligne bi-pupillaire reste la principale référence horizontale de reconstruction.
A contrario 11,6 % des sujets (asymétriques verticaux + asymétriques mixtes, voir fig. 5) présentent donc un caractère d’asymétrie verticale qui conduit à choisir un axe de reconstruction horizontal différent. Au-delà du seuil de perception de l’oeil humain (1°), cet axe est souvent la moyenne des orientations entre LBP et LBC. La médiane du cadre de référence (vert) devient la référence verticale de reconstruction. En pratique clinique, c’est le cadre facial de référence (vert) qui défini les axes, horizontal et vertical, du visage. Au-delà du potentiel de discrimination de l’oeil (1°), une photo visage, DITRAMAX® en place permet de mettre en évidence les références verticale et horizontale de la reconstruction (fig. 6.) La LBP ne peut plus être la référence horizontale. Il est alors possible d’évaluer l’importance de la correction au niveau des pupilles (fig. 7).
Ceci est en accord avec les résultats de Behrend (14), qui obtient une influence significative de l’ensemble de ces lignes sur le choix de l’axe horizontal de reconstruction, en incluant un axe vertical représenté par la perpendiculaire à la ligne inter-méatique. La ligne bi-commissurale est la plus importante après la ligne bipupillaire, car très proche de la zone de reconstruction (tableau I).
Dans cette étude sur 160 sujets, l’angle moyen entre la ligne inter-méatique et le plan de référence horizontal esthétique est de 1,5° (SD 0,9°). De nombreux auteurs (4, 5) ont décrit les conséquences
cliniques du manque de parallélisme entre la ligne inter-méatique, qui est la référence horizontale des arcs faciaux, avec le plan esthétique horizontal. Dans cet exemple, une prothèse antérieure parfaitement horizontale sur l’articulateur présente, une fois en bouche, un défaut d’alignement esthétique majeur. Il est par conséquent important de communiquer au laboratoire l’orientation du plan esthétique antérieur horizontal et sagittal afin de garantir la bonne intégration esthétique des prothèses.
De nombreux auteurs ont souligné que la majorité des visages sont naturellement asymétriques (9, 15). Nous trouvons en effet dans notre étude que 64 % des
sujets présentent un caractère d’asymétrie (fig. 5). Il est toutefois important de faire la différence entre l’asymétrie verticale et horizontale. Au sein de la population étudiée, les asymétries se répartissent de la façon suivante : 52,4 % des sujets présentent une asymétrie horizontale, 6,9 % verticale et 4,7 % mixte, horizontale et verticale (fig. 5).
L’asymétrie horizontale droite/gauche, bien que fréquente, n’est pas problématique du point de vue clinique, car elle ne modifie pas les axes esthétiques de reconstruction (LBP et LSM). Elle est en général associée à un décalage latéral du milieu interincisif lié au différentiel de croissance entre le côté droit et gauche de la face.
Sur l’ensemble de la population étudiée, la répartition des sujets ayant un port de tête incliné est (tableau III) :
– peu importante pour les sujets symétriques (15 %) ;
– nettement majoritaire pour les sujets asymétriques verticaux (75 %) ;
– très importante pour les sujets asymétriques horizontaux (48,6 %) et mixtes (62 %).
Enfin, en accord avec les résultats de Lee, en vue de profil, le plan esthétique se situe entre les plans de Francfort et Camper à environ 9° de chacun d’eux (7). Ce plan donne l’axe de vision du modèle selon l’aspect naturel et assure ainsi la bonne gestion de la courbure incisive. Si le prothésiste travaille dans l’alignement au plan de Camper, il aura tendance à rallonger les incisives centrales, et inversement s’il suit le plan de Francfort. Il est là aussi capital que le prothésiste perçoive le modèle dans la situation la plus proche possible de l’aspect naturel du visage, c’est-à-dire environ 10° au-dessus du plan de Camper.

Conclusion

Cette analyse biométrique des visages a permis de valider des règles couramment utilisées dans le domaine de l’esthétique faciale. La ligne bi-pupillaire (LBP) est la référence horizontale des traitements dentaires en secteur esthétique pour 88,4 % des patients (sujets avec symétrie verticale + ceux avec symétrie horizontale + sujets avec asymétrie horizontale). La référence verticale de ces traitements est toujours la médiane du cadre de référence (vert).
Ce cadre de référence est aussi une aide à la perception des asymétries verticales qui représentent environ 11,6 % des sujets. De tels patients sont traités eu utilisant comme référence horizontale soit :
• la ligne bi-commissurale (LBC) lorsqu’elle est parallèle à la ligne horizontale du cadre de référence,
• la bissectrice de l’angle formé par LBP et LBC lorsqu’elle n’est pas parallèle à la ligne horizontale du cadre de référence.
Enfin, la sensibilité de l’oeil humain à percevoir des différences de parallélisme entre les lignes LBP et LBC se situe aux environs de 1°, le choix de la référence horizontale est alors indifférent.
Dans le plan sagittal, la différence entre le plan de Camper et de Francfort est de 18°. Le plan esthétique est situé 8° au-dessus du plan de Camper et 10° en dessous de Francfort.

Le Docteur Patrice Margossian est Chirurgien dentiste à Marseille, spécialisé dans les implants dentaires, greffes osseuses, greffes de sinus et greffes de gencive

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